Je vais citer les passages que j’ai aimés mais également ceux où des artistes et personnes de l’époque sont cités.
« Vers 11h on frappe à la porte d’un café dans le plus grand mystère (…) on descend jusqu’à une cave des plus élégantes (…) Toutes sortes de gens y courent, tous frappant mystérieusement, tous des intellectuels qui brandissent agressivement les bannières de leur clan : des bannières opposées. Micheline Presle était là, cette belle star française qui interprète Le Diable au corps dont je vous ai parlé, et qui joue maintenant dans le film de Sartre. Avec Pagliero, l’acteur italien de Rome, ville ouverte, son partenaire, et deux autres types (…) Entre autres était présent un très bizarre sale type, cinglé et odieux (Pierre Boutang), qui a failli être fusillé après la Libération. »
« En un sens, c’est excellent pour moi d’écrire en anglais (…) je ne peux que dire ce que j’ai à dire de la manière la plus directe et la plue nue. » En effet, Simone a écrit toutes ces lettres en anglais.
« J’ai dîné avec la femme laide, dans un ravissant restaurant ancien du Palais-Royal, et nous avons bu le champagne. Pourquoi buvons-nous sempiternellement le champagne, elle et moi ? je ne sais pas. Jean Cocteau y dînait aussi (le fameux poète français, pédéraste, âgé de 60 ans) accompagné de trois jeunes homosexuels assez beaux. »
« Avant, l’après-midi, grandes festivités littéraires chez Gallimard et à cette occasion, grand buffet : on remettait un prix de 100 000 francs à un jeune auteur ; il a été attribué à cet autre poète homosexuel dont je vous ai parlé [cf photo ci-dessous, Jean Genet] , l’enfant trouvé devenu cambrioleur et auteur de belles œuvres obscènes (…) Il est content d’avoir trouvé l’argent mais mécontent des photos. Après, toujours chez Gallimard, cocktail Steinbeck, mais je ne suis pas allée le saluer dans une telle foule. »
« Je suis terriblement avide, aussi, je veux tout de la vie, être une femme et aussi un homme, avoir beaucoup d’amis, et aussi la solitude, travailler énormément, écrire de bons livres, et aussi voyager, m’amuser, être égoïste, et aussi généreuse… »
« Une réception suivait, dont on aurait pu s’attendre qu’elle fût brillante, étant donné la confrontation de la cervelle de Sartre et de la beauté de Rita Hayworth ; eh bien elle a battu les records du lugubre, c’en était risible »
« La seule chose importante, c’est de bien travailler, mais quand on en a fini et qu’on cherche à se détendre, on peut faire ce qu’on veut. »
« A cela Algren répondit qu’il avait pensé demander à Simone de Beauvoir, quand elle reviendrait, de l’épouser. (…) Comment arracher des racines plantées si loin les unes des autres, à Paris pour elle, à Chicago pour lui, sans commettre une sorte de suicide spirituel, sans condamner l’exilé à la nostalgie, au dessèchement ? »
« Elle aussi, je l’aime bien, beaucoup même, mais aimer bien, comme c’est peu pour qui exige l’amour tout court. »
« Un curieux sentiment de solidarité unissait les gens, je crois que ça nous rappelait l’Occupation, époque dont en un sens nous avons la nostalgie car en ce temps-là on savait clairement qui étaient les amis et qui les ennemis. »
« En France la radio appartient au gouvernement, ce n’est pas une entreprise privée, et tout ce monde, qui n’a pas une goutte d’humour, a été atteint dans sa petite âme respectueuse. Comme vous dites, c’est la pire tare d’être incapable d’humour. »
« Je ne crois pas avoir eu l’occasion de vous entretenir d’un très grand ami, un sculpteur que nous voyons souvent (…) Comme artiste je l’admire énormément, il n’y a pas de sculpture moderne supérieure à la sienne et puis il travaille avec une telle pureté, une telle patience, une telle force ! Il s’appelle Giacometti. (..) Voilà vingt ans il connaissait un grand succès (…) de riches snobs le payaient des prix exorbitants, comme Picasso. »
« Or on dit que les hommes méprisent celles qui les vénèrent. Mauvaise tactique. » Simone, après qu’elle ait adressé trop de louanges à Nelson
« quelle superbe couleur, le jaune ! J’étais émerveillée de posséder des yeux. »
« Dwight Mac Donald, fait partie de cette catégorie de gauchistes qui se situent toujours plus à gauche que n’importe qui, et souvent, comme la Terre est ronde, à force de courir à gauche, toujours plus à gauche, ils se retrouvent à droite. »
« mieux vaut dix jours de passion intense qu’une vie entière de tiède pseudo-amour, mi-indifférent mi-exaspéré, n’est-ce pas ? » Cette phrase me rappelle les réflexions de Barthes dans Fragments d’un discours amoureux mais aussi celles de Beigbeder dans L’Amour dure trois ans ; les deux affirment qu’une passion vaut parfois bien plus qu’un amour durable.
« Mon coeur vous bénira dans le vice comme dans la vertu »
« Nelson, mon mari. (…) je vous aime en Allemagne tout autant qu’en France et aux U.S.A., ça tourne à l’amour international. »
« L’arrivée, au nord du Grand Berlin, dans la gare française, a été déplaisante. Les Allemands ont dû attendre que les Français soient sortis pour recevoir la permission de quitter le train : encore une réminiscence de l’Occupation, et c’est pire d’être du côté des occupants. » J’ai trouvé ce passage intéressant car j’ignorais qu’après la Seconde guerre mondiale les Français pratiquaient ce genre de vengeance puérile et mauvaise.
Simone, expliquant à Nelson le « synopsis » de la pièce de théâtre Les Mouches de Sartre : « voici son sens général : quand on s’est mis soi-même dans une sale situation, inutile de se consumer de remords, il faut tenter d’agir et d’améliorer les choses. »
« En Allemagne le malaise de se trouver du mauvais côté, celui des vainqueurs, a persisté. À la frontière entre zones russe et américaine, le train a stoppé, tous les Allemands ont dû descendre et attendre dans le froid pendant des heures qu’on vérifie leurs passeports, etc. (…) Là, tandis que l’inverse se produisait, nous nous sentions très mal à notre aise, coupables en quelque sorte. »
« Ils jouissent de leur peur, ce qui les dispense d’endosser la moindre responsabilité, conduite de fuite caractérisée. Je ne suis pas très hardie moi-même, et je hais l’idée de mourir, mais quoi, quand nous mourrons, nous mourrons, je ne vais pas d’avance mourir de peur. »
« Il est pédé, genre d’hommes que j’aime assez bien car ils se montrent assez souvent amicaux envers les femmes (et pas de risque d’être piégée !). Celui-là quoique gentil ne laisse pas d’être un peu indifférent aux êtres humains, de coeur sec et égoïste, cas fréquent chez les pédés. »
« Pour vous, je pourrais renoncer à beaucoup plus qu’à un ravissant jeune homme, vous savez, je pourrais renoncer à la plupart des choses ; en revanche je ne serais pas la Simone qui vous plaît, si je pouvais renoncer à ma vie avec Sartre, je serais une sale créature, une traîtresse, une égoïste. Cela, je veux que vous le sachiez quoi que vous décidiez dans l’avenir : ce n’est pas par manque d’amour que je ne peux rester vivre avec vous. Et même je suis sûre que vous quitter est plus dur pour moi que pour vous, que vous me manquez de façon plus douloureuse que je ne vous manque ; je ne pourrais vous aimer davantage, vous désirer davantage, vous ne pourriez me manquer davantage. Peut-être le savez-vous. Mais ce que vous devez savoir aussi, tout prétentieux que ça puisse paraître de ma part, c’est à quel point Sartre a besoin de moi. »
« Jamais je ne pourrais l’[Sartre] abandonner. Le quitter pendant des périodes plus ou moins longues, oui, mais pas engager ma vie entière avec quelqu’un d’autre. »
« Hier soir au cinéma, Ball of Fire avec Gary Cooper et Barbara Stanwyck, par moment amusant mais dans l’ensemble très bête. »
« Très vite Sartre et moi nous attachâmes l’un à l’autre, j’avais 22 ans et lui 25, je lui donnai avec enthousiasme ma vie et moi-même. Il fut le premier homme avec qui je couchai, aucun auparavant ne m’avait même embrassée. Depuis longtemps nos existences se confondent, et je vous ai dit déjà à quel point je suis liée à lui, par un amour cependant qui se rapprocherait plutôt d’une fraternité absolue – sexuellement, ce ne fut pas une parfaite réussite, essentiellement à cause de lui, il n’est pas passionné par la sexualité. C’est un homme chaleureux, vivant, en tout sauf au lit. J’en eux vite l’intuition, malgré mon manque d’expérience, et peu à peu, ça nous parut inutile, voire indécent de continuer à coucher ensemble. Nous abandonnâmes au bout d’à peu près huit ou dix ans peu couronnés de succès dans ce domaine. »
« C’est alors qu’apparut le jeune et beau Bost, voilà dix ans. » Amant de Simone de Beauvoir pendant longtemps.
« Peut-être fais-je tout avec excès, travailler, voyager, vous aimer ? Eh bien c’est comme ça que je suis, je préfère ne pas faire les choses du tout plutôt que de les faire avec tiédeur. Je ne pourrais pas vous aimer avec tiédeur, chéri, et si je peux cesser momentanément de voyager ou de travailler, je ne peux cesser de vous aimer. Donc je vais me coucher en vous aimant à ma façon, en vous regrettant à ma façon, sans aucune, aucune modération. »
« À Chicago, grand événement, vous allez voter pour Wallace. Tout le monde sait que Dewey gagnera ; serez-vous très énervé ? »
« Alors c’est Truman qui a remporté les élections ! »
« Il arrive souvent, ajoute-t-elle, qu’on trouve mort un Noir important, dans un taillis ou un marécage. Et avez-vous entendu parler des horreurs qui se déroulent à Madagascar ? On a massacré 90 000 Noirs dans la rébellion, où 150 Blancs ont trouvé la mort, c’est le plus grand scandale survenu en France depuis longtemps. » Simone, en parlant de l’horreur des colonies.
« Est-ce que je pense la même chose de vous et de Philip Ravh ? Certes un « chic type » peut être de grande ressource pour une femme, mais pouvais-je leur expliquer ce que j’entends par « chic type » ? »
« Le R.D.R. se porte bien. Il y a eu un meeting insensé du R.P.F. (gaulliste) où Malraux a déliré sur la liberté intellectuelle ! »
« Vendredi soir j’ai assisté à un grand gala – encore des ballets, ceux de Catherine Dunham, une Noire américaine à la fois anthropologue et danseuse. (…) elle s’est initiée aux danses primitives du Brésil et de Cuba, a réuni une compagnie de danseurs noirs où elle-même se produit »
CATHERINE DUNHAM (1952)
« Elle habite, dans un quartier pauvre et une très pauvre maison, un appartement bien arrangé, plein de Van Gogh et de photos de votre grenouille personnelle. » Nelson appelait Simone : « sa grenouille ».
« J’ai croisé Truman Capote dans une rue de Saint-Germain, comique au possible, microscopique, infiniment plus petit que Sartre, et quelle tapette ! »
« Autre anecdote sur Truman Capote : on a appris au barman du « Montana », où je vais quelquefois, que ce jeune homme s’appelait Truman Capote. Il en croyait à peine ses oreilles, étant donné l’étrange résonance du nom, et s’est écrié : « Quoi ? Truman… comme Roosevelt ? Et Capote, comme capote anglaise ? »
« Pleinement d’accord avec vous sur l’humour de Dostoïevski, bien plus profond, plus subtil et plus amer que celui de Dickens, et pourtant plus léger, plus aisé. Et Stendhal ? » Complètement d’accord avec eux, l’humour de Dostoïevski est unique.
« On s’agite et s’excite ici à la folie sur l’affaire Garry Davis, vous avez sûrement entendu parler de ce petit rouquin qui en pleine ambassade américaine a déclaré vouloir rendre son passeport américain. « Mais c’est le meilleur passeport du monde ! » Et lui : « Je ne veux aucun passeport, je m’oppose à la séparation des nationalités, je me considère comme citoyen du monde. »
Tout à l’heure j’ai déjeuné avec Carlo Levi – dieu qu’il est comique ! d’une vanité ! personne ne l’égale »
« Il paraît que ce cher Carlo Levi a presque viré stalinien tant il éclate de fierté qu’une grande photo de lui ait paru dans L’Unità, le quotidien du P.C.I., accompagnée de commentaires aimables. »
« Mon ami s’appelle Merleau-Ponty, il arrivera dans un mois à peu près, je lui dirai d’aller à Chicago. »
« Quelqu’un que j’ai revu avec le plus grand plaisir en revanche, c’est le vieil André Gide, le plus vieil écrivain français vivant, je pense (il a eu le Prix Nobel, vous savez, pour avoir écrit sa vie durant qu’il était bien d’être pédé). »
« Le vieux Gide s’éteint doucement : prix Nobel, 81 ans, peut-être est-il temps pour lui de s’en aller, mais certains montrent une hâte répugnante, on a déjà réclamé à Sartre des articles nécrologiques ! Il a refusé, bien entendu. »
1951 : « Le vieux Gide est mort »
« En ce moment il y a en France beaucoup d’affaires d’avortement, j’en suis indignée. Chez nous il n’existe aucune espèce de contrôle des naissances, c’est illégal. En conséquence chaque année il y a autant d’avortements que de naissances, à peu près un million, mais l’avortement reste formellement interdit. On vient d’arrêter un médecin que je connaissais très bien et à qui j’ai adressé quantité de femmes dans l’embarras, il les a aidées, les pauvres comme les riches. Un autre chirurgien s’est jeté par la fenêtre la semaine dernière parce qu’on l’avait impliqué dans une sale affaire de ce genre. En revanche un père qui battait son jeune fils presque à mort n’a été que légèrement réprimandé par le tribunal, sans même récolter une peine de prison. Une fois l’enfant né, apparemment, vous pouvez le tuer si ça vous amuse, et s’il meurt à la guerre, c’est pour ça qu’on l’a fabriqué, mais tant qu’il est dans le ventre de sa mère, c’est un meurtre de tenter quoi que ce soit contre lui. Je porte plainte devant vous : nous pouvez-vous rien faire contre cet état de choses ?«
« Pour embellir notre logis j’ai acheté d’autres tableaux : un second de Van Gogh, un Toulouse-Lautrec qui vous plaira sans doute »
« J’ai fait la connaissance d’un grand poète français, Char. Héros du maquis, en plus ; »
L’hôtel « Odessa« , où mon amie russe a vécu, est situé à Montparnasse, le « Lutétia« , plus luxueux, servait de cantonnement aux officiers allemands pendant la guerre. »
« Le gouvernement français a signé un accord avec Bao-Daï que tous là-bas haïssent, un traître envers la France comme envers l’Indochine, cette guerre va donc continuer et nos amis du Vietnam en sont affligés et effrayés. » Nous sommes en 1949 quand Simone de Beauvoir écrit ces lignes.
« Chéri, c’était doux de lire votre gentille lettre sur mon balcon, face à la mer bleue. Les anecdotes sur Farrell m’intéressent toujours, il a l’air d’un écrivain de la pire espèce, aux U.S.A. comme en France, d’un vaniteux, d’un emmerdant, d’un nul ! »
« Ne vous tracassez pas, vous serez mon invité, vous vous sentirez Ali Khan en permanence. »
« Mon vieil ami Maheu, vous savez celui qui m’a téléphoné avec tant d’urgence l’autre soir, est aux quatre cents coups parce que sa jeune maîtresse, enceinte, veut garder l’enfant, mais que dire à sa femme, laquelle est vieille et malade, à moitié folle de jalousie et de frustration sexuelle ? (…) Ce garçon que j’ai connu brillant s’est métamorphosé en un homme aux abois, désespéré, qui souffre durement du gâchis de sa vie, de son impuissance. »
« Hier soir je vous voyais presque de mes yeux intérieurs, vous portiez votre meilleur costume gris, une chemise bleue, une cravate, et assistiez au théâtre à La Mort d’un commis-voyageur [d’Arthur Miller 1948] »
« Chéri pourquoi m’avez-vous conseillé ce Puissant Agneau d’un certain Thorne Smith ? Cette histoire d’un homme sans intérêt qui se transforme en cheval, en mouette ? »
« J’ai aussi lu un petit O’Hara, Papillon, et une bonne traduction de nouvelles et d’essais de Thurber, certains désopilants. Pour vous obéir j’ai apporté Servitude humaine [de Somerset Maugham – 1915 ], qui m’a l’air affreusement lourdingue. »
« Il [Sartre] a été invité à déjeuner par son cousin Albert Schweitzer mais étant absent de Paris n’a pu accepter, ce dont il s’est frotté les mains. »
« Et les nouvelles de Sherwood Anderson sont plaisantes, mais sans rien d’extraordinaire, je ne suis pas gâtée en ce moment par la littérature anglo-saxonne. »
« Mon Nelson, mon amour. Connaissez-vous le joli poème de Verlaine « Il pleure dans mon coeur Comme il pleut sur la ville… » tout à fait mon état d’âme aujourd’hui. »
« J’ai lu une récente biographie française d’Oscar Wilde, très intéressante, mais sans pouvoir m’attacher à l’homme, et je continue à transpirer d’abondance sur Bruno Bicek. » Bruno Bicek est un personnage d’un des romans de Nelson Algren que Simone traduit en français.
« Le bruit court qu’une révolution couve à Saint-Germain-des-Prés, l’invasion des pédés américains rendant fous les patrons de cafés, particulièrement celui du « Flore« . « Les vieux auteurs français, Gide, Cocteau, passe, ce sont des gens respectables, mais nous récoltons actuellement la lie de la ville, descendue de Montmartre pour extorquer l’argent des Américains, ça non, c’est trop. » Quand le propriétaire a appris qu’on appelait couramment le « Flore » le café des tapettes, il a décidé de flanquer ce monde à la porte. Après de longs conciliabules avec ses collègues de la « Lipperie », du « Montana », etc., ils ont frappé un premier coup en demandant un prix extravagant pour une simple bière, ce dont vos pédés américains se sont contrefichus royalement ; et un second, en vain, en empoisonnant légèrement ladite bière. En désespoir de cause, ils ont appelé la police, et des flics ramassent régulièrement les clients pour les mener au poste. On n’admettra plus aucun homme sans femme. Les journaux abondent en photos de ces conférences, de la terrasse du « Flore », et s’en donnent à coeur joie comme vous imaginez. »
« Faisons l’amour avec nos cerveaux, la prochaine fois, chéri… »
» J’ai trouvé à qui vous ressemblez sur la photo du New York Times : à Queneau ! J’aime bien Queneau, mais ne me réjouis que modérément de coucher avec lui dans quelques mois. »
« et Queneau a claqué la porte il y a deux jours en criant à sa femme : « Je te chie dessus et ne reviendrai jamais. » Il est revenu, naturellement, mais persistez-vous à vous contrister autant d’être célibataire ? »
« Queneau vient d’entrer à l’Académie Goncourt, acte étrange et un peu décevant car ce truc est une espèce de mafia tellement conformiste, molle, sans valeur. »
« Hier j’ai déjeuné avec le peintre [Fernand Léger] qui m’a offert le dessin suspendu chez moi, à droite de la cheminée. Il a en ce moment une grand exposition à Paris, très intéressante, après avoir passé quatre ans aux U.S.A. ; il adore Chicago, chose rare chez les Français. »
« Où exactement Hemingway a-t-il dit ce qu’on cite dans ce journal ? »
« Je me suis accordée deux séances de cinéma cette semaine, bien plus que ma dose habituelle, dont une pour Louisiana Story, de Flaherty, lent, presque ennuyeux par moments, mais remarquable. »
« Hier soir à la « Rhumerie martiniquaise« , le peintre ivrogne mi-aveugle mi-boiteux que Sartre entretient est passé, complètement ivre, désespéré, effrayant ; l’accompagnait un jeune homme propret, confortable, bien de chez lui, et qui lui ressemblait beaucoup, à la façon dont un millionnaire peut ressembler à un clochard. « Comment allez-vous ? », m’a dit le peintre d’une voix pétillante, et, me désignant d’un air d’excuse le jeune homme propre : « Cette chose qui débarque, c’est mon frère. » Ecrasant de mépris. J’ai apprécié. »
« on a frappé une seconde fois, pour m’apporter un exemplaire de Tous les hommes sont mortels en allemand, orné d’une belle jaquette : un homme du Moyen Age face à un homme moderne, accompagne de lettres aimables de Juifs, et d’une actrice célèbre [Gaby Sylvia] qui me félicitait. »
« Jeudi j’ai passé une soirée à lire au lit La Peau, de Malaparte. Dès qu’il sera traduit en américain, lisez-le. Un sale menteur, un répugnant fasciste, un fils de pute de puant Italien, mais talentueux et amusant. Connaissez-vous Kaputt, qui était assez formidable ? Dans La Peau il s’agit des Américains à Naples, au moment où votre grande armée yankee a libéré la ville, vous vous amuserez. »
« Queneau m’avait priée de me laisser photographier le matin, pour un film sur Saint-Germain-des-Prés, j’étais d’accord, rendez-vous pris aux « Deux Magots » vers midi ; »
« en février aura lieu le procès de J’irai cracher sur vos tombes, on poursuit un tas de monde en justice pour obscénité à l’heure qu’il est, nous avons l’intention de protester. »
« Aux « Deux Magots » j’ai rencontré Orson Welles, il est question que j’aille ce soir au cirque avec lui. »
« Dimanche, à un déjeuner avec Ellen Wright, j’ai appris qu’on avait dû passer la camisole de force à Carson McCullers pour tentative de suicide. Sa paralysie provient surtout de l’abus du cognac, dont son mari et elle buvaient trois bouteilles par jour, plus du vin, des cocktails, du scotch, toutes les boissons d’usage, et par là-dessus elle a pensé devenir folle à cause de l’adaptation de son dernier roman au théâtre. (…) Elle a eu une attaque, on l’a emmenée à l’hôpital puis à New York, la moitié du corps anéantie – peut-être restera-t-elle dans cet état jusqu’à sa mort, c’est affreux. »
« Mon très doux chéri. J’ai déjeuné avec Silone [Ignazio Silone, l’un des fondateurs du Parti communiste italien, dont il fut expulsé en 1930. Romancier, ami de Sartre et de Simone de Beauvoir à l’époque] de passage à Paris pour une semaine (sans Darina), en voilà un qui ne réussirait guère à Wabansia comme maquereau, il s’est fâché rouge quand j’ai voulu régler l’addition, il était italien, ce serait la première fois de sa vie qu’une femme paierait pour lui, etc. »
« Rappelez-vous cette blonde dont je vous ai si souvent entretenu, qui s’ivrogne depuis vingt ans (…) Dans le passé, le très jeune Sartre fut amoureux d’elle, et elle a vécu avec un grand acteur français bossu nommé Dullin. Eh bien Dullin est mort cette semaine. »
« Elle [la femme, veuve, de Dullin] raconte que pendant la nuit de Noël elle a installé une crèche avec le Christ nouveau-né, la Sainte Vierge, les bergers, etc., et à côté une photo de Dullin, des fleurs, des bougies, et à cette photo de Dullin elle a déclamé des passages de Nietzsche. Voilà comme elle aime les gens : morts, et subissant ses histrionismes. »
« elle travaillera – ce verbe éternellement conjugué au futur. »
« Oh Nelson ! je serai gentille, je serai sage, vous verrez, je laverai le plancher, cuisinerai tous les repas, j’écrirai votre livre en même temps que le mien, je ferai l’amour avec vous dix fois par nuit et autant dans la journée, même si ça doit légèrement me fatiguer. » Simone, enthousiaste après que Nelson ait accepté qu’elle vienne, de façon imprévue, passer l’été avec lui.
« Quel pays de salauds que le vôtre en ce moment ! Vous vous rappelez Jean Wahl, le professeur existentialiste avec qui à l’université de Chicago vous avez failli discuter de Pour une morale de l’ambiguïté. Il n’est pas communiste pour un sou mais il a participé à la grande conférence sur la paix (…) Eh bien l’ambassade américaine lui a refusé un visa pour se rendre à Mexico à un colloque philosophique de l’Onu. »
« La première des conférences organisées par mon marchand de journaux s’est tenue hier. Le malheureux l’a échappé belle ! Il comptait sur Clouzot, le réalisateur de Manon, film qui vous avez assez plu et que j’avais trouvé antisémite. Ledit Clouzot n’avait pas répondu à son invitation. »
« Je travaille très bien, j’ai couvert de sottises des monceaux de papiers qui, un jour, formeront un livre, ô étrangeté ! »
« Allez-vous vous décider à coucher avec cette Sylvia Sidney (Une des stars de la Paramount des années 30). »
« Blague à part, chéri, quand vous disparaissez, le soleil disparaît et ces premiers jours de précoce printemps parisien ont paru affreusement tristes à mon pauvre coeur. La seule bonne chose quand j’ai tremblé de vous perdre, c’est le bonheur qui m’inonde en vous retrouvant. »
« Dans Le Deuxième Sexe j’ai consacré un passage aux putains, aux prostituées et, entre autres élégantes cocottes de 1900, j’ai mentionné Cléo de Mérode.«
« Je fus hier condamnée à payer un franc de dommages et intérêts à mademoiselle Cléo de Mérode (…) En tout cas elle n’a pas obtenu les millions qu’elle ambitionnait »
« Après, un petit souper nous a réunis à « La Coupole« »
« John Garfield a l’air correct. »
« Dans ce paysage aride et solitaire on croise très souvent de ces Arabes noirs, desséchés, brûlés, que vous aimiez à Marrakech. Sans habitation fixe, ils dorment à même le sol avec femmes et enfants tant que les chameaux et les moutons trouvent à brouter des herbes piquantes, puis s’en vont plus loin, toujours plus loin sans jamais s’arrêter, toute une vie d’errance. Ils mettent leur fierté à ne pas travailler, quoique ce nomadisme équivaille à un travail, en fin de compte. »
« Je lis le dernier Henry Miller traduit en français, Sexus, une abominable emmerdance. D’accord, être au lit avec l’homme qu’on aime, c’est chaque fois nouveau, chaque fois beau, mais la description minutieuse, par écrit, des coucheries d’autrui ne restitue pas cet intérêt, on ne perçoit que le même monotone vieux jeu, bien que Miller s’efforce tant et plus de le varier. Et puis il dégoise, il dégoise un tas d’insanités, il m’assomme. »
« Lors de son retour de France, par avion en septembre 1949, Algren (…) avait reçu le Pultizer (…) il participa à un grand gala au « Waldorf Astoria » en compagnie des deux autres lauréats, William Carlos Williams pour la poésie et Ralph Rusk pour l’histoire, lui-même étant couronné pour son roman L’Homme au bras d’or. Mme Eleanor Roosevelt prononça une allocution… »
« Le médecin de l’hôtel m’en a conté de drôles. Les riches engraissent leurs femmes autant que faire se peut ; il en connait une qui atteint le poids de 250 kg, ce qui lui interdit de bouger mais ne l’empêche pas de rire du matin au soir. Son mari, très épris, couche souvent avec elle, assisté de quatre esclaves qui maintiennent la monstresse en posture adéquate. » Simone se trouve à Gao, au Mali.
« Ça doit être difficile de vivre ici sans prendre des rages contre les Noirs ; cela dit, un Blanc décent peut-il vivre ici ? Tous ceux que j’ai approchés ont conservé la mentalité d’affreux esclavagistes ; ils redoutent le puissant Parti communiste local, les Noirs en ont marre de la colonisation. Dans cet enfer bouillonnant et suant, la politique est un jeu aussi passionnant que dangereux. (Sartre, encouragé par Leiris, ethnologue spécialiste de l’Afrique, avait espéré rencontrer des membres du R.D.A., mais de Paris le Parti communiste fit pression sur eux pour qu’ils l’évitent. Il n’en vit pas un seul.) »
« Un autre spectacle sinistre, celui de prisonniers très spéciaux qui construisaient un zoo à lions et à serpents – entièrement nus, d’aspect féroce, visage et corps marqués de scarifications. Si un petit nombre n’étaient que de vulgaires voleurs, cambrioleurs et assassins, la plupart avaient commis des meurtres rituels – car ces pratiques persistent malgré les sévères châtiments qu’ils encourent -, des petits garçons sont jetés vivants aux crocodiles, des vieillards empoisonnés et dévorés, etc., dans les nombreux villages enfouis au fin fond de la brousse où jamais nul Blanc ne s’aventure. » Simone est à Bamako.
« Savez-vous à quoi vous ressemblez ? À Harold Lloyd«
« Paris me paraît un délice. Pourquoi les gens assez chanceux pour habiter Paris s’en vont-ils à l’étranger ? À quoi cela rime-t-il ? »
« Pagliero, le mari de Lisa, a fait un excellent film sur Saint-Germain-des-Prés. (…) Queneau a rédigé le texte, un commentaire à sa façon. On voit le cocktail Gallimard, tel que vos yeux l’ont vu, le « Saint-Yves » et ses vieilles chansons 1900, le cinglé qui s’habille comme du vivant de Napoléon, Boris Vian, Scipion, Sartre, moi-même. À conserver pour nos arrière-petits-enfants. Pagliero a aussi tourné un film sympathique sur une dernière nuit à Rome. »
« Parce que la reine Juliana visite Paris, que d’embarras, que de drapeaux ! Peu importe la reine Juliana. En revanche l’Amérique nous obsède : pop-corn et Coca-Cola envahissent tout, ne pouvez-vous pas garder vos sales boissons pour vous ? C’est honteux, Sartre aime le Coca-Cola, il en boit, je me dispute vivement avec lui à ce propos. »
« À propos d’égalité, connaissez-vous la plaisanterie de George Orwell, qui bien qu’auteur d’un mauvais livre contre l’U.R.S.S., ne manquait pas d’esprit ? Après la Grande Révolution, la République des bêtes proclame que « Tous les animaux sont égaux… Mais… certains animaux sont plus égaux que d’autres ». Nous pourrions donc tomber d’accord : nous sommes égaux, mais je suis un peu plus égale que vous. »
« Paris l’été est formidable »
« Le bonheur caché au fond de mon coeur me rend un peu folle. »
« Hier, chargée d’une montagne de papiers, je me suis rendue à l’ambassade américaine où vous aviez si glorieusement, si fièrement combattu. Le consul m’ayant interrogée sur les motifs de mon départ, j’ai répondu que je me sentais trop jeune pour demeurer vieille fille et que le seul homme avec qui je puisse coucher habitait Chicago, West Wabansia. Il a admis que j’avais besoin d’un Américain dans ce dessein, mais, a-t-il ajouté, leur ambassade en regorgeait. J’ai jeté un oeil sur eux et conclu : « Non. »
« Bien qu’alertée par le changement de ton des lettres d’Algren de ces derniers mois [été 1950], par leur rareté, leur brièveté, elle reçoit comme un choc total l’accueil qu’il lui fait : brutalement, il lui annonce qu’il ne l’aime plus. »
« J’ai assisté à une représentation de Henri IV, de Pirandello, pas sa meilleure pièce, mais assez bonne. »
« En France et en Angleterre, les malades mentaux ne peignent que s’ils en ont envie, en Amérique du Nord et du Sud, peindre constitue une thérapie, on leur apprend à peindre. Beaucoup parviennent à exprimer remarquablement l’horreur de leur paysage intérieur. »
« première révolution, elle découvre que la propriétaire et sa bonne sont lesbiennes. J’ai vu des photos : deux bonnes femmes énormes, vieilles, mamelues, fessues ; renversant d’imaginer entre elles quelque chose comme du sexe. »
« Voici l’anecdote sur Dylan Thomas que Wolfe (écrivain et jazzman) m’a racontée (…) Thomas, qui est très connu à New York parmi les professeurs, les érudits (…) fut invité par l’université Columbia pour une tournée de conférences (…) on le croyait très beau (…) On alla l’accueillir à l’aéroport et là (…) c’est un homme petit, gras (…) qui s’est rué comme un fou hors de l’avion (…) C’est un fait avéré que de quinze ans il n’a pas dessaoulé, et dans l’avion il n’a cessé de picoler. (…) on l’a entraîné dans un restaurant huppé où des professeurs avec épouses en robes chic se rassemblaient. (…) assurément loin d’être sobre, [il] a commencé à sauter (…) de préférence sur les genoux des femmes d’un certain âge (…) il saisissait le haut du corsage des dames, tirait dessus et reluquait leur poitrine en demandant : « Je peux souffler dessus ? » Tout ce monde pétrifié d’horreur. Deux hommes parvinrent à acculer le poète contre un mur (…) et certains professeurs vinrent lui poser des questions sur ses poèmes, sur l’un en particulier, déjà ancien, qui évoque une baleine et des algues. « Je n’en saisis pas très bien le symbolisme », déclara un respectable érudit. Et Thomas (…) : « Oh ! c’est très simple : la baleine, mon brave, c’est une pine, et les algues sont un con. Ce qu’ils font ? eh bien, ils baisent… » (…) Après il s’est calmé un moment, jusqu’à ce qu’une dame arrive avec un de ses recueils et lui réclame une dédicace. Il écrivit « À madame Smith », et en dessous (…) dessina une énorme bite agrémentée de ces mots : « Car elle semble en avoir grand besoin. » Puis, assis par terre, il se mit à composer un poème effroyablement obscène sur la grosse bite dont madame Smith manquait (…) Le mari n’était pas du tout, du tout content (…) ils ont proprement expulsé Thomas. (…) les universitaires ont commencé par déclarer le personnage répugnant, ils n’entendaient plus écrire ni articles ni thèses à lui consacrés, allant même jusqu’à insinuer qu’ « après tout ce n’était pas un si grand poète ». (…) Conclusion de l’épisode : Thomas redevint tout à fait sain et sobre et put donner ses conférences (…) J’ai beaucoup apprécié, car souvent j’ai rêvé à ce qui se serait produit si Joyce, ou d’autres, avaient révélé leur véritable ego devant le public qui soi-disant les admirait – hélas jamais ils n’ont poussé jusque-là ; je suis bien satisfaite que pour une fois ces « professeurs de poésie » aient pris vaguement conscience de ce qu’un authentique poète peut être. »
« Quand je suis revenue en France j’aurais pu croire, impression qui persiste, que je n’avais pas quitté les U.S.A. Journaux, hebdomadaires, tous parlent exclusivement de la politique américaine (…) La plupart, tous en fait sauf les staliniens, sont venus aux U.S.A. (…) même Combat parle de « libération de Séoul » par MacArthur, des choses de ce genre. Honteux. »
« Et des élections ; MacArthur sera-t-il un jour président ? Chez nous on redoute qu’un succès républicain ne signifie une guerre dans l’avenir. Truman, semble-t-il, prend sa revanche sur le Congrès en faisant appliquer strictement la loi, tout arrivant est désormais bouclé sur Ellis Island avant son entrée aux U.S.A. »
« Et à propos de victoire, qu’en est-il de votre fils de pute de MacArthur ? Il est en train de déclencher de toutes pièces une guerre sur la paisible terre coréenne. »
« Je vous ai envoyé le roi biblique, un autoportrait de Van Gogh peint juste après qu’il se fut coupé l’oreille dans un bordel, un Petit Café d’Arles que je ne connaissais pas et que je trouve sensationnel, un paysage d’Utrillo et des Maisons au toit de chaume, de Vlaminck, vous les aurez à la fin du mois je suppose, et j’espère que vous aimerez au moins les Van Gogh.«
« Grosse excitation ici à propos de Thorez, le leader du P.C. français, qui, à demi-paralysé, s’est envolé pour l’U.R.S.S. afin de se faire soigner. Vichinski l’a « invité » à Moscou où les meilleurs spécialistes se consacreront à lui. (…) Certains croient qu’on le liquidera comme Dimitroff, d’autres remarquent que nous possédons en France d’excellents chirurgiens, qu’après tout Thorez est français, comment les Russes osent-ils l’enlever ? »
« Sartre m’a confié son manuscrit sur Genet, terrifiant objet de 850 pages (…) Un monstre, ce bouquin, où Sartre aborde tous les sujets : la morale, l’art, la société, etc., sous prétexte d’expliquer Genet. Il y mélange bizarrement philosophie et obscénité, proposant par exemple une théorie existentialiste de l’enculage (d’un homme par un autre homme) et de la différence qui sépare la merde dans les oeuvres de Genet et dans celles de Zola. »
« Oui, c’est Jean Marais que vous avez vu dans L’Aigle à deux têtes, film que j’aime assez aussi, et dans la rue, avec moi. »
« Bernard Wolfe avait rencontré Jacques Guicharnaud avec Queneau et d’autres lors du voyage de ce dernier à New York, l’an passé. Il interrogea Guicharnaud sur ce qu’il faisait dans la vie et celui-ci fièrement répondit que chaque fin de semaine il venait à New York. « Et puis ? qu’y faites-vous ? dit W. – J’ai une chambre près de Times Square. – Oui, mais ? – Je fais le tour de Times Square. – Et à part ça ? – Rien d’autre. »
« Vous dites que ceux qui veulent orthographier votre titre Never Come Morning parlent l’américain comme des nés natifs du Japon, sachez qu’il s’agit de Queneau et de Duhamel… Queneau serait donc bel et bien japonais. Pirandello est un formidable dramaturge italien, mort il y a une vingtaine d’années. »
« J’ai revu Les Lumières de la ville, sensationnel. Dire qu’autrefois je ne l’avais qu’à moitié aimé tant nous étions à l’époque gavés de films de cette qualité. À présent n’importe quel Charlie Chaplin semble génial. C’était quelqu’un. »
« Dick Wright, à qui j’ai parlé une demi-heure, ne tient pas en place, il organise les Noirs américains de Paris, qui se plaignent de ne pas trouver de travail aussi aisément que les Blancs. Il a rameuté des libéraux, ils préparent des meetings pour dénoncer MacArthur, Taft et toute cette clique. »
« Lisez aussi les articles sur Lautréamont, sur Apollinaire et, page 136, sur Mourre qui prêcha à Notre-Dame, vous vous rappelez ?, pour stigmatiser l’Église, et qu’un psychiatre fou avait déclaré fou. »
« Il [Cocteau] n’a raconté qu’une bonne histoire, de chats. Un imbécile de metteur en scène de cinéma tourne à Paris un film sur une vieillarde et ses chats, lesquels, une cinquantaine, meurent de faim, et quand la vieille entre dans la pièce sans nourriture pour eux (par raison de pauvreté) « lui sautent dessus comme des tigres » (termes exacts du scénario). En conséquence le metteur en scène a exigé que les chats bondissent à la lettre comme des tigres, ce qu’ils n’ont pas fait. Alors il les a drogués, à moitié empoisonnés, a enduit de substances inflammatoires les parties délicates de leur anatomie : les chats n’ont pas bondi. Des défenseurs des chats l’ont sommé d’arrêter les frais. « Un chat peut souffrir de folie douce », ont-ils argué, mais lui n’a rien voulu savoir, c’était écrit, ils devaient bondir « comme des tigres ». Il les a enfermés deux jours dans des sacs, privés de nourriture, quand on les a libérés, à moitié crevés, couverts de merde, ils bondissaient moins que jamais. À la fin on a fait appel contre lui à la Société protectrice des animaux, mais elle n’a pu pénétrer dans le studio. Ça continue sans faiblir, il torture d’autres chats qui ne consentent pas davantage à jouer les tigres. Déplorable, non ? »
« Le philosophe Aron était un grand ami de Sartre et moi au temps de nos vingt ans. Étudiants ensemble, nous adorions les longues discussions abstraites. Juif, il a traversé la guerre à Londres, et je me souviens quel plaisir j’ai ressenti à le revoir pendant l’hiver 44 (…) puis [il] a tourné gaulliste-R.P.F. (…) depuis, nous ne nous voyons plus, il tape sur Sartre autant qu’il peut. »
« Tôt le matin son mari la fait réveiller par la bonne, car « les malades font la loi »
« Mac Coy a subi un sérieux cassage de gueule de la part d’un écrivain nommé Kessel, dans un club. Ce Kessel, d’origine russe, pue autant comme écrivain que Mac Coy lui-même, mais j’ai pensé que ça vous réjouirait. »
« Que de beaux jeunes gens, d’ailleurs, peau cuivrée, cheveux de soleil, yeux bleus, mais je ne leur adresse même pas la parole, coeur et chair pétrifiés à jamais, je crois bien. Presque chaque nuit je rêve de vous, des cauchemars. Vous n’apparaissez pas, d’autres gens, de drôles de choses surviennent, mais toujours ressort le sentiment terrible d’une perte immense, incommensurable, qui se transmue en désespoir, en angoisse, et au réveil, immédiatement, je sais ce que j’ai perdu. » En effet Nelson ne l’aime plus…
« Deux catholiques haïssaient Gide, le romancier Mauriac et le poète Claudel. La petite Cassoulet a fait une excellente plaisanterie : le lendemain de la mort de Gide, elle a télégraphié à Mauriac : ENFER N’EXISTE PAS. POUVEZ VOUS MARRER. PREVENEZ CLAUDEL. signé : ANDRE GIDE. Mauriac a piqué une colère rouge (il ignore l’identité de l’expéditeur). »
« Quand je ne travaille pas, j’assiste aux répétitions de Sartre. L’acteur vedette est Pierre Brasseur (…) célèbre à vingt ans (il en a quarante) il menait une vie de débauche : drogué à mort, il a dû se faire désintoxiquer neuf fois, sautant sur toutes les femmes qui croisaient son chemin, comme Harpo Marx, souvent amoureux aussi, et la plupart du temps ivre. »
« Après une période de soleil, pluie et froid à nouveau ; je m’en fiche, le coeur heureux. »
« Blague à part, il a trouvé la bonne manière [Sartre : ayant écrit une pièce d’une durée de 4h, les acteurs étaient plus que désespérés à l’idée de jouer une pièce aussi longue ; mais Sartre a eu une solution plus qu’étonnante…], il a froidement rédigé environ un quart d’heure supplémentaire de rôle pour plusieurs acteurs, ce qui améliore beaucoup la pièce. Du coup personne n’ose plus souffler mot, chacun frémissant de peur que Sartre n’ajoute une autre demi-heure. »
« C’est Jouvet qui le met en scène, un emmerdeur, mais qui en connaît un bout sur son métier. Brasseur semble un vrai maniaque du sexe. »
« L’autre jour pendant une absence de sa femme [Simone de Beauvoir parle de Brasseur] il a confié au secrétaire en clignant de l’oeil : « J’aime bien le Castor, ça me plairait beaucoup de la baiser (textuellement). Vous ne pouvez pas arranger ça ? »
« La directrice dans sa folie a chargé Schiaparelli, très grande maison de couture, de la conception desdits costumes [de la pièce de Sartre] ; c’est idiot. Mme Schiaparelli, célèbre pour son excentricité plus que pour son goût, n’a aucune habitude de théâtre. »
Merci pour ce grand travail, dont j’ai apprécié surtout l’image d’elle avec M. Bost. Quant à ses réflexions, montent-ils que normalement on semble plus intélligent qu’on écrit dans sa langue maternelle? – William Eaton, Montaigbakhtinian
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Au contraire, elle dit à un moment : « En un sens, c’est excellent pour moi d’écrire en anglais (…) je ne peux que dire ce que j’ai à dire de la manière la plus directe et la plue nue. » . Selon elle, et je suis de son avis, écrire dans une autre langue permet de dire certaines choses plus aisément car on ne peut les masquer grâce à des tournures de phrases alambiquées. On est obligé de dire les choses de la manière la plus franche possible.
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